Michka Assayas par Denis Rouvre

Michka Assayas par Denis Rouvre

Michka Assayas a touché à tout. D’une part écrivain, ce journaliste rock est passé par les rédactions de Rock & Folk, Libération, Actuel, VSD, et a collaboré à la première version des Inrockuptibles. Il a confessé son ami Bono dans un livre d’entretien et aujourd’hui anime chaque semaine l’émission de radio « Subjectif 21 » sur France Musique. Grand ordonnateur du Dictionnaire du rock paru chez Robert Laffont en début de décennie, il s’attelle actuellement à sa réactualisation en vue d’une prochaine réédition. Il évoque avec nous ce travail et sa vision de ces dix dernières années rock

Dix ans après, tu travailles sur une mise à jour du Dictionnaire du rock (2002), pourquoi ?

Tout simplement, dix ans ont passé et les gens dont je parle dans le dictionnaire ont continué à faire de la musique et à enregistrer des disques. Certains sont morts. Il y a un aspect mise à jour un peu au ras des pâquerettes. Même si l’appréciation de ce que des gens comme Eric Clapton ou B.B. King ont pu faire en dix ans ce n’est pas inintéressant pour un certain public.

Maintenant pourquoi ajouter des jeunes groupes et lesquels ?

Pour moi, c’est une encyclopédie plus qu’un dictionnaire, c’est-à-dire la réunion de toutes les connaissances que l’on a pu rassembler à ce moment-là. Elle doit nécessairement refléter l’évolution du monde, mais son but a toujours été de faire connaître ce qu’il y avait de bien, indépendamment de raconter des histoires complètes des groupes à succès. Faire connaître Okkervil River, faire connaître Elbow, etc. Je ferais cette mise à jour avec moins d’enthousiasme si je n’avais pas été stimulé par la quantité de groupes qui a pu apparaître depuis dix ans. J’ai en tête des gens comme Ed Harcourt, The Decemberist ou encore Elysian Fields dont je viens de corriger l’article. Il y a pullulement aujourd’hui des artistes et des initiatives d’intérêt. 

Justement comment faire le tri ?

Déjà fin des années 90, c’était difficile voire impossible de réunir tout ce qui existait car les goûts étaient très éclatés. Moi, je viens d’une époque où quand par exemple tu écoutais du rock post-punk, tu détestais le metal. Quand tu écoutais du metal, tu ne savais pas que Gang of Four existait. Déjà, c’était une gageure de réunir toutes les chapelles dans une seule et même cathédrale. Aujourd’hui c’est encore plus mission impossible. En même temps, maintenant, il y a moins de sectarisme. Je le vois bien moi-même dans mes goûts. La plupart des groupes que j’écoute sont à l’image de ce qui se passe à notre époque. Un jour, tu entends un groupe qui utilise de l’électro dans sa musique, le lendemain tu vas chercher à écouter les Fleet Foxes qui utilisent un luth. Les gens sont donc tout à fait capables d’aller d’un truc à l’autre. Par exemple, dans les années 80 et début 90, il y avait une distinction très opérante qui était d’un côté « rock majoritaire » et de l’autre « rock alternatif ». Avec l’arrivée de groupes comme Nirvana, on se rend compte que l’alternatif très vite déborde. De nos jours, des groupes indé signent tout de suite avec des majors. C’est donc bien plus compliqué de faire ce cloisonnement entre mainstream et alternatif.

Michka Assayas par Stéphane Lavoué/Télérama

Michka Assayas par Stéphane Lavoué/Télérama

Précisément, avant chaque article du Dictionnaire du rock, il y a un en-tête qui décrit le style du groupe. Un vrai casse-tête, non ?

Je simplifie au possible. Je considère qu’il y a rock, pop, r’n’b, hip-hop, soul, jazz et blues. Mais l’inverse est très français. Nous sommes dans l’obsession de la définition : celui-ci fait de l’électro hip-hop, celui-là du grindcore, etc. Ce sont des inventions de journalistes un jour où ils ont bu un coup de trop. Ensuite les critiques se mettent à sacraliser ces étiquettes. Pourtant, la plupart des musiciens ne savent pas trop ce qu’ils font et piquent à droite à gauche.

Quand est sortie la première édition du Dictionnaire du rock à la fin des années 90, on annonçait la mort de l’esprit rock. La musique électronique régnait en maître et les grands groupes, de U2 aux Smashing Pumpkins, incorporaient de plus en plus d’éléments technos dans leur musique. En 2001, The Strokes sortent leur premier album et le rock revient au premier plan. Comment as-tu vécu cette période ?

Ce mouvement-là, je l’ai déjà vécu à la fin des années 80 avec la house et des groupes comme les Happy Mondays. Ça a mis un coup de vieux terrible au rock. Les rockeurs se sont mis à mettre du groove dans leur musique. Des groupes comme Curve par exemple. Moi j’étais très attaché à l’expression individuelle, c’est-à-dire les textes, les mecs qui ont quelque chose à dire, une musique figurative. Or, on était entré dans une phase d’abstraction et de dépersonnalisation : le groove mondial. Les groupes de rock alors étaient en marge. Des gens comme Elvis Costello ont continué sur leur lancée, mais ils étaient un peu rejetés. Arrivent les années 90 et Nirvana qui est un premier choc. Personne n’aurait prévu que quelque chose arrive de ce côté-là. L’année des raves arrive un mec comme Kurt Cobain qui vient du metal, considéré alors comme super ringard. Quand est arrivé « le retour du rock » début 2000, j’avais 40 ans passés et j’avais écouté beaucoup de choses auparavant. J’ai donc d’abord réagi en me comparant aux autres gens de mon âge et aux critiques comme Philipe Manœuvre ou Patrick Eudeline que je connais bien sans être de la même école. Pour eux, ce fut une forme de légitimation. Ils ont eu l’impression que ces nouveaux rockers étaient un peu comme les ados qu’ils avaient fantasmés. Il y avait un côté rock par procuration via la génération de leurs enfants. C’est quelque chose que j’ai rejetée profondément. Cette attitude me semblait profondément paternaliste et contraire à ce que le rock a représenté pour moi, c’est-à-dire faire son truc dans son coin. Si les gens sont intéressés qu’ils viennent, sinon rien à foutre. Or là, cette volonté de chercher une légitimation chez des mecs de 50 balais… Je me suis dit qu’il y avait un truc qui n’allait pas.

Un retour du rock pas très à ton goût alors ?

Là, on touche à un truc très important pour moi : je n’ai jamais été intéressé par le rock branché. Quand je me suis pris de passion pour le rock, il n’était pas dans les pages mode des journaux. Quand j’ai commencé à voir des articles sur le look des musiciens et sur « comment vous habiller comme les Strokes ou Pete Doherty », je ne me suis pas senti du tout concerné. Je suis étranger à cet esprit-là. Précisément, pour moi le rock c’est des mecs comme Mark Linkous de Sparklehorse. Ce sont des parias qui sortent de trous perdus. Des types pour qui se retrouver dans une soirée avec des gens glamour signifie ne parler à personne et regarder leurs pieds. Des dandys paradoxaux qui ne sont pas là pour flatter les magazines de mode dans le sens du poil. Un mec comme Elvis Costello a beaucoup compté pour moi parce que c’était la revanche du nerd. Là, dans l’association rock et mode, la musique devient un prétexte. D’ailleurs, on le constate autour de nous : l’événement le plus important dans la musique ce n’est pas tel groupe ou tel autre, mais la technologie qui permet d’écouter plus, autrement. « J’ai quinze mille chansons », voilà ce qui passionne les gens. Ce qui restera de notre époque, c’est la musique comme habillage. Car on constate que c’est là que l’argent se fait. Tellement de gens fabriquent maintenant de la musique avec cet état d’esprit. C’est une situation compliquée.

Michka Assayas par Laurent Friquet/Centre Pompidou

Michka Assayas par Laurent Friquet/Centre Pompidou

 

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