Pour ceux qui lisent Spanky Few régulièrement, vous avez certainement remarqué que Victor Pavy, c’est notre pote. C’est aussi un de nos chroniqueurs invités qui nous fait parfois l’honneur d’analyser pour nous albums et scène musicale. Car Victor, ce n’est pas uniquement un bon musicien et sacré songwriter, c’est aussi une encyclopédie de la musique qu’on peut écouter pendant des heures. C’est aussi un sacré buveur de bière, mais ça, c’est une autre histoire…

Victor Pavy par Eglantine Molokostar et Yoann Houlbert

Victor Pavy par Eglantine Molokostar et Yoann Houlbert

Mon cher Victor, peux-tu nous parler de ton parcours pour ceux qui ne te connaissent pas ?

À six ans j’ai écrit ma première chanson : Merde. Les paroles se résumaient à ‘Merde, qu’est-ce que je fous là ! Merde, qu’est-ce que je fous dans ce monde-là ! Merde ! Merde ! Merde !’ Je crois que j’avais tout dit dès ce moment-là. « It’s all downhill from there », comme dit l’expression anglo-saxonne.

Tu viens d’une famille qui écoute beaucoup de musique. Tu es toi-même une vraie encyclopédie de la musique. As-tu toujours voulu monter sur scène ?

La scène est juste un moyen. À six ans j’ai donc écrit mes premières chansons : Merde ou d’autre chef d’œuvre comme Vieux fou, Veil Ivrogne. Je n’ai jamais arrêté depuis. À huit j’ai rajouté une boite à rythmes grâce à un mini-synthé cheap, à treize ans une guitare, à trente ans quinze pistes de cordes et de chœurs de filles… Au bout du compte le principe reste le même et ces chansons ne sont pas destinées aux murs de mon appartement, mais au monde extérieur. Tous les moyens sont donc bons pour que j’émette ces chansons et que d’autres les reçoivent. Être sur scène, je ne le vis vraiment pas comme un égo trip. J’ai longtemps cru que le je devais et ça ne me rendait pas heureux d’être sur scène. Je me forçais. Les chansons sont tout ce qui compte. Quel plaisir de les entendre sortir des enceintes avec puissance et entrer directement dans le corps des spectateurs. Avec la musicalité de l’instant scénique, il n’y a rien d’autre.

Pendant plusieurs années, tu étais à la tête du groupe Saïbu. Aujourd’hui, tu te lances en solo. Qu’est-ce qui a motivé cette décision ?

Saïbu était un groupe comme The Divine Comedy, The Auteurs ou Sparklehorse. C’est à dire le moyen d’expression d’une seule personne. Moi en l’occurrence. Les musiciens qui ont joué dans ce groupe au fil des années ont donné tellement de choses et je leur en serais éternellement reconnaissant. Pourtant, au bout du compte j’essayais d’exprimer des choses trop intimes pour que d’autres personnes se voient associées dans ce qu’on pourrait appeler « la matière inconsciente » de ma musique. Il était au final plus juste d’être clairement l’unique émetteur pour que l’auditeur reçoive un message plus clair, émotionnellement plus fort. C’est aussi une histoire de maturité, je pense. C’est facile de se cacher au sein d’un groupe, de moins assumer. La sortie de mon album était l’occasion justement de dire que j’assume cette musique. Je livre une part de moi, de moi seul et je suis à l’aise avec ça.

Tu sors aujourd’hui ton single Fingers From The Swamp et prochainement ton album. As-tu travaillé avec la même équipe que pour Saïbu ou as-tu choisi de bosser avec de nouveaux collaborateurs ?

La plupart du disque a été enregistrée alors que dans les faits Saïbu existait encore. Mais là encore factuellement il s’agissait de moi et de collaborateurs. Il doit y avoir deux batteurs et trois bassistes différents sur l’album. Je joue moi-même beaucoup d’instruments. C’était un peu à qui était disponible au moment où j’ai organisé des sessions de studios. Il y a dû y avoir sept studios différents en tout sur ce projet. Je pense que l’unité du disque tient beaucoup au mixage qui est quasiment entièrement réalisé par l’anglais George Shilling. Je le connais par son travail sur les albums de Bernard Butler dont je dois être le plus gros fan français. Il a aussi mixé le Kowalski de Primal Scream et des albums de Teenage Fanclub. Il a vraiment apporté beaucoup au disque.

Quelles ont été tes inspirations pour ce nouveau projet ? C’est aussi l’occasion de revenir sur les artistes qui t’inspirent. Quels sont-ils ?

Avec le recul je réalise que le thème principal de l’album est l’impossibilité du couple. De Awake qui est un tableau idéal où un petit grain de sable vient tout remettre en cause jusqu’à In Some Way qui est la chronique d’une relation longue distance en phase terminale, en passant par Fingers From The Swamp où une tenancière septuagénaire d’un bar des rives du Mississipi brise le cœur du vieux guitariste qui fait l’animation chaque soir dans un coin de la salle. Que je sois l’enfant d’un couple séparé ne doit pas être étranger à tout ça et il y a sans doute un aspect thérapeutique à cet album. Maintenant j’essaye vraiment dans mes chansons écrites récemment de parler d’autres choses. Je me force presque. Bon quand même, il y a des morceaux sur le disque qui abordent d’autres thèmes. On A Wedensday c’est de la science-fiction inspirée par Mtv, Greek Garden une chanson sur un « drug-trip » qui n’a jamais eu lieu… Pour ce qui est des artistes qui m’inspirent, ils sont légion. C’est simple, il y a quatre zones : le cerveau, le cœur, l’entrejambe et les pieds. Moi tout ce que je demande c’est qu’une de ces zones soit stimulée. Une c’est bien, deux c’est mieux, trois c’est génial, quatre c’est extrêmement rare, voir impossible. (Si vous avez des exemples de morceaux qui stimulent les quatre zones en même temps, faites suivre, ça m’intéresse).

Avec qui rêverais-tu de travailler ?

Ma copine a inventé une chanson qui s’appelle The Coconut Song dans le style de Going Loco Down In Acapulco des Four Tops. Je suis la noix de coco de la chanson. On pourrait faire un truc cool avec des cuivres et des costumes à paillettes. Une sorte de négatif de Marilyn Manson.

Victor Pavy par Jérôme Makles

Victor Pavy par Jérôme Makles

Tu es aussi journaliste pour plusieurs médias spécialisés dans la musique. Comment gères-tu le fait d’être à la fois sur scène et devant la scène ?

Je ne gère rien du tout. Je n’écris pas tant que ça sur la musique. Des trucs par-ci par-là de temps en temps. J’écris surtout sur les réseaux sociaux. Des longs textes confus et bourrés de fautes d’orthographe. Je m’enflamme trop. Et c’est idiot au final parce qu’écrire ne sera jamais à la hauteur de l’expérience d’écoute. Écrire sur la musique, c’est le truc le plus vain au monde. J’aurai beau écrire quelque part que quand Neil Young joue seul sur scène Ambulance Blues dans un grand Rex complètement silencieux ou Mercury Rev entame leur concert par une chaude nuit espagnole avec Holes, ils me font pleurer, jamais je ne ferais ressentir une émotion aussi forte à quelqu’un qui va en lire mon récit. Non, je crois qu’il faudrait faire des cours du soir pour rééduquer tous ces dangereux personnages qui écrivent sur la musique. Et je serai assis au premier rang. Ou alors on pourrait fabriquer des stickers à distribuer à la sortie des écoles avec des slogans du style : « Kids, stop talking about it, just press play »

Quel regard portes-tu sur la scène française actuelle ?

Aucun. Il y a des trucs que j’aime, d’autres qui me laissent indifférent, des trucs qui m’agressent profondément. Non, ce qu’il y a juste à remarquer c’est que pour avoir vécu mon adolescence en pleine britpop et avoir passé beaucoup de temps à Londres durant cette période foisonnante, je suis interpelé par la sècheresse vécu outre-Manche. Il ne s’y passe plus rien depuis dix ans. Où sont les chansons ? Où est la folie ? Ils sont où les Jarvis, Damon et Liam de notre époque ? J’ai l’impression qu’il se passe des trucs partout sauf là. Il est grand temps qu’ils se mettent à construire des ponts pour voir autre chose que leur île.  Quand on pense à l’histoire de la musique anglaise, le constat est un peu triste. Je raconte ça car dans le même temps en France dans les années 90, c’était d’une tristesse. Noir Désir ou presque rien. Ben rien alors. Il a fallu attendre Homework de Daft Punk et Moon Safari de Air pour sortir de la grisaille. Ici maintenant, ça part dans tous les sens. Il faut faire le tri, mais c’est excitant. Il y a dix ans j’étais au festival de Bénicassim, les Chemical Brothers étaient sur scène et je prenais mon pied. Cette année j’étais au festival de Primavera et j’ai pris mon pied sur Justice. Tout est dit.

La crise du disque, tu la vois comment ? Penses-tu que la scène est devenue l’atout numéro un des groupes ?

Il y a un effet très pervers à tout ça. Beaucoup de groupes, aujourd’hui, en France en particulier, pensent qu’ils n’ont pas le choix.  Pour se faire remarquer, ils deviennent des machines de guerre sur scène. Ils sont carrés, ça envoie. Oui, mais après ?… Sur disque ça ne suit pas. Tu récupères le truc et une fois que tu le mets sur ta platine, il ne se passe rien. C’est juste chiant. Moi je m’en fous de voir un groupe qui sort les muscles sur scène si c’est pour être rigide. J’attends un rapport humain d’un concert, je ne viens pas voir des robots. Il ne faut pas oublier qu’un concert est un instant fugace alors qu’un bon disque a une valeur à durée de vie illimitée. On a tous des disques qu’on a écouté des centaines fois, jusqu’à l’obsession parfois. On peut avoir une histoire d’amour avec un disque. Un concert c’est juste un coup d’un soir. C’est sympa, mais tu n’en fais pas une vie. J’ai vu bien plus de concerts bancals qui m’ont touché que de démonstrations de maitrises scéniques. C’est un mal français et j’en veux pour preuve le concert de Dominique A à Primavera. Rien à dire, il a des chansons, mais c’était de loin le concert le plus carré que j’y ai vu. Son groupe sonnait par moment trop propre, trop en place, et on sentait certains musiciens issus de formations « à la française ». À coté les Cure c’était joyeusement approximatif. Quelle avalanche de tubes par contre ! Et quand tu rentres à la maison et que tu envoies The Head On The Door, c’est magique.

Quels sont tes projets futurs et que peut-on te souhaiter ?

Entre le mixage, le mastering et le travail sur la pochette du disque, ça fait un moment que je n’ai pas fait une session d’enregistrement. Je suis curieux de voir ce que peut donner de nouvelles chansons avec une palette différente que celle utilisée sur l’album. Je suis très content de ce premier disque, mais je ne me sens pas particulièrement attaché à répéter sa formule dans le futur. J’ai passé beaucoup de temps depuis à faire le DJ dans des soirées. Je me demande si ça a influencé ma démarche d’une manière ou d’une autre. Pour le reste vous pouvez me souhaiter un joyeux Noël et une bonne année.

Single : Fingers From The Swamp 45T/Digital, sortie le 9/10/12
Album : The Japanese Ending, 33T/CD/Digital, sortie Novembre 2012

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Victor Pavy par Eglantine Molokostar

Victor Pavy par Eglantine Molokostar

A propos de l'auteur

Créatrice de Spanky Few