A l’âge de dix-sept ans, Anne-Sophie Brasme publie Respire, son premier roman. Celui-ci devient rapidement celui d’une génération, le symbole des relations difficiles – parfois destructrices – entre les adolescents. En 2014 sort le film éponyme, adapté par une Mélanie Laurent brillante. Nous avons voulu connaitre le point de vue d’Anne-Sophie Brasme sur ce film et parler avec elle de son parcours et de ses projets. Rencontre avec un écrivain aussi discrète que talentueuse.

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Bonjour Anne-Sophie, pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Bonjour. J’écris depuis le jour où (vers l’âge de 6 ou 7 ans, alors que je m’ennuyais) j’ai eu l’idée de « faire un livre » avec un cahier. J’ai commencé tout un tas de contes, d’histoires illustrées, jamais finis bien entendu ; jusqu’à Respire, mon premier roman, écrit à 16 ans après une histoire d’amitié très douloureuse. J’ai eu la chance incroyable d’être publiée. Depuis, j’ai écrit Le Carnaval des monstres (2005), puis presque dix ans plus tard Notre Vie antérieure (sorti en octobre dernier).

D’où vous vient cet amour de la littérature ?

J’ai toujours aimé les mots. Quand j’étais petite, mon père me lisait des extraits de « La mort du loup » de Vigny ou de La Légende des siècles de Hugo. Je n’y comprenais pas grand-chose, mais cela me fascinait. Je ne suis pas une grande dévoreuse de livres, mais je suis très sensible à la saveur du langage et à ses pouvoirs.

Vous avez publié Respire, votre premier roman, à l’âge de 17 ans. Il s’est vendu à 40000 exemplaires l’année suivant sa parution et a été traduit dans plus de 17 langues. Comment avez-vous vécu ce phénomène ?

Assez maladroitement. J’étais une jeune fille timide, pas très sûre de moi. J’avais écrit Respire de façon très spontanée ; je dis souvent que ce livre, je l’ai « craché ». Et soudain je me suis retrouvée projetée dans cette sphère littéraire qui me faisait rêver, mais dont j’ignorais les codes. C’est comme si on m’avait enfilé le « costume d’écrivain », mais que c’était beaucoup trop grand pour moi. J’ai eu quelques grands moments de solitude, par exemple face à des auteurs reconnus médiatiquement, mais dont j’ignorais parfaitement l’existence. Avec le recul, je me dis que c’était tout à fait normal, que j’aurais dû prendre tout cela avec plus d’humour et de légèreté…

Comment ce succès a-t-il influencé votre carrière naissante ?

J’ai opté pour la « sagesse » en me concentrant sur mes études de lettres. En 2005, j’ai tout de même publié Le Carnaval des monstres, une histoire qui me tenait vraiment à cœur ; mais les critiques ont été assez mitigées, et de mon côté j’ai compris que je devais prendre un peu de recul, que je n’étais pas encore prête à en écrire un dans la foulée. Après cela, j’ai passé l’agrég, j’ai commencé à enseigner, je me suis mariée, j’ai eu une petite fille… Je ne me suis remise à écrire qu’il y a 2 ans environ, après ma rencontre avec Mélanie Laurent, qui m’a encouragée. J’avais besoin d’un petit déclic pour me remettre vraiment au travail. J’ai donc écrit Notre Vie antérieure, qui correspond pour moi à un « deuxième premier roman ».

Avez-vous conscience que beaucoup de jeunes ont pu se reconnaître un peu dans l’histoire de Charlène, victime du harcèlement de celle qu’elle prend pour sa meilleure amie, surtout à une époque où on parle beaucoup de harcèlement scolaire ?

Quand j’ai écrit Respire, je pensais sincèrement qu’on me prendrait pour une folle… J’ai été sidérée de voir que beaucoup de gens, même adultes, se reconnaissaient dans cette histoire. Maintenant que je suis prof en lycée, je devine souvent chez mes élèves des situations qui pourraient ressembler à celle que j’évoque dans le livre…

Quel a été votre sentiment en apprenant que Mélanie Laurent voulait adapter votre livre au cinéma ?

Quand mon éditrice m’a appelée en octobre 2012 pour m’annoncer qu’une certaine Mélanie Laurent voulait acheter les droits, je n’ai pas été si surprise que cela en réalité… Car à l’époque déjà, en 2001, Mélanie m’avait contactée. Elle faisait ses premiers pas en tant que comédienne, mais rêvait déjà de se lancer dans la réalisation. Pendant plusieurs mois, je me souviens, nous nous sommes appelées régulièrement, nous passions même des heures au téléphone pour discuter de ce projet, que je trouvais formidable : nous avions le même âge, nous avions la même vision des choses… Mais les droits étaient trop chers, et on ne lui faisait pas encore confiance. Ensuite, nos chemins se sont séparés. J’ai suivi sa carrière, en me disant toujours quelque part : « Tiens, ce serait sympa qu’un jour elle se souvienne de ce livre… » Et puis c’est arrivé.

Vous n’avez pas participé à l’écriture du scénario. Qu’avez-vous pensé du résultat final ? Imaginiez-vous par exemple vos personnages comme cela ?

J’ai été époustouflée. D’ailleurs je ne m’attendais pas à un tel choc. J’avais laissé cette histoire loin derrière moi, je n’y pensais plus vraiment. Je suis allée à la projection avec certes un peu d’appréhension, mais en même temps détachée, comme si j’allais voir n’importe quel autre film. Et là, je me suis laissée surprendre par mes émotions. Le film de Mélanie Laurent m’a fait redécouvrir ce livre, et même au-delà : il m’a replongée dans cette histoire d’amitié que j’avais vécue au collège, et que je pensais avoir oubliée depuis longtemps. Le personnage de Sarah, incarné par Lou de Lââge, est incroyablement vrai, au point qu’il m’a rappelé la véritable personne qui l’a inspiré. Quant à Charlie, aussi merveilleusement interprétée par Joséphine Japy, je l’ai trouvée beaucoup moins pathétique que la Charlène du livre ; mais j’ai apprécié ce choix, je le trouve finalement beaucoup plus juste.

Que ressent un écrivain dont le roman est adapté ? Ne se sent-il pas un peu dépossédé de son œuvre ? Ou au contraire pense-t-il que c’est une évolution naturelle ?

Cela fait longtemps, de toute façon, que le livre ne m’appartient plus : quand il a été publié, j’ai éprouvé comme un sentiment d’étrangeté, qui ne m’a pas du tout déplu. Le livre a également été traduit dans plusieurs langues, donc au bout d’un moment il y a quelque chose qu’on ne maîtrise plus… Et c’est mieux comme ça. Je ne suis pas du tout « jalouse » de ce roman, au contraire je suis contente qu’il suive sa propre route.

Ecrire d’autres romans après cela, était-ce un défi ?

Oui, c’est difficile. Après Respire, on m’a attendue au tournant. J’avais beaucoup de pression pour le deuxième, je voulais montrer que le premier n’avait pas été que le fruit du hasard. Et puis, finalement, ça a été la même chose pour le troisième. Et cela continuera encore… Il faut toujours faire ses preuves.

Pour ceux qui ne les connaissent pas, pouvez-vous nous parler un peu des deux romans qui ont suivi, le Carnaval Des Monstres et Notre Vie antérieure ?

Le Carnaval des monstres raconte l’histoire de Marica, une jeune fille ordinaire, mais qui souffre de sa laideur. Elle décide un jour de répondre à une petite annonce et rencontre un photographe, Joachim, qui cherche des personnes à particularités physiques. Se noue alors entre eux une relation ambiguë, mêlée de fascination et de répulsion. Comme dans Respire, c’est une histoire de perversion assez sombre.

Notre Vie antérieure est beaucoup plus apaisé ! L’héroïne s’appelle Laure Narsan, c’est une romancière de 65 ans qui vit avec son mari éditeur. Un jour, elle commence ce qui sera son dernier livre : dans celui-ci, elle revient sur l’été de ses 20 ans, où – alors qu’elle n’était qu’une étudiante timide et effacée – elle a rencontré deux garçons. Le premier, Aurélien, est un jeune homme solaire et plein de vie ; l’autre, Bertier, est un intellectuel rêveur. Elle passe à leurs côtés un été lumineux, mais un événement dramatique vient tout bouleverser. Et c’est précisément ce qui fera d’elle un écrivain.

À quand un quatrième livre ?

Rien de décidé pour le moment, mais j’y réfléchis bien sûr. Pourquoi pas sur la relation mère-fille… Je prends mon temps, même si j’aimerais cette fois ne pas attendre 10 ans pour l’écrire !

Crédits photo : EmmanuelClaude/Focalize

A propos de l'auteur

Créatrice de Spanky Few