Il y a quelques semaines, la grève du personnel de Radio France déclenchait un séisme dans le paysage journalistique français. À cette occasion, nous avons rencontré Arnaud Laporte, figure historique du groupe et journaliste officiant à la tête de La Dispute, sur France Culture.

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Bonjour Arnaud, être journaliste culture, n’est-ce pas la croix et la bannière à une époque où la culture semble reculer dans les médias ?

Si, bien sûr, et avoir la chance de faire des émissions quotidiennes sur tous les champs disciplinaires sur l’antenne de France Culture depuis 2000 est une grande chance, pour laquelle je me donne sans compter. C’est un luxe, et une prison ! Mais une très belle prison.

Parle-nous de La Dispute, l’émission que tu animes sur France Culture, quel en est le concept ?

L’idée de base est très simple : réunir chaque soir autour de moi des critiques pour parler de l’actualité culturelle, avec un savant dosage de poids lourds et d’émergents, de grandes institutions et de petits lieux. À chaque soir sa discipline (lundi : spectacle vivant / mardi : cinéma / mercredi : arts plastiques / jeudi : musique / vendredi : littérature). Chaque sujet est traité avec un temps d’antenne qui n’a d’équivalent sur aucune autre antenne, ni dans aucun support de presse.
De plus, j’ai créé la première revue de presse culturelle quotidienne. Enfin, de temps à autre, je fais une interview par téléphone, pour donner des nouvelles de ce qui se passe en région ou à l’étranger. À noter également, en effet, que dans la programmation de La Dispute, j’attache une grande importance à traiter de ce qui se passe en régions.

Inviter des personnalités de milieux très différents (écrivain, musicien, architecte…) est-ce le point fort de La Dispute et ce qui fait qu’elle se démarque par rapport à d’autres émissions culturelles ?

Depuis deux saisons, en effet, un artiste ou un acteur du monde de l’art et de la culture est le fil rouge de la semaine. C’est la séquence de l’Invité(e) de La Dispute. Chaque soir, elle ou il livre ses goûts dans tous les domaines artistiques traités par l’émission. Cela donne un autoportrait sensible de l’Invité. C’est une façon très originale de découvrir quelqu’un.

La culture en général est-elle un sujet qu’il faut développer à la radio ? Si oui, de quelle manière ?

Je ne sais pas ce que c’est que « la culture en général ». On entend souvent dire que « tout est culture ». D’une certaine façon, oui, mais l’art et la création artistique sont des domaines assez clairement délimités, me semble-t-il. Je crois en effet que l’art, pas la culture, n’a pas assez de place dans les médias, que ce soit à la radio ou ailleurs. Il faudrait donner davantage donner envie aux gens, à tout le monde, de se confronter à l’art, parce que tout le monde a quelque chose à y gagner. C’est ce qu’essaie de faire, avec ses moyens, La Dispute.

Tu es un ancien de France Culture puisque tu y fais carrière depuis l’âge de 21 ans. Comment a évolué le monde de la radio depuis tout ce temps et plus spécifiquement, celui de France Culture ?

France Culture évolue avec son époque. J’y suis entré en 1987, à une époque où Médiamétrie y était considéré comme un gros mot. Depuis une quinzaine d’années, Médiamétrie y est devenu un mot respecté, parfois craint. Dans le même temps, il y a une paupérisation des personnes qui « font » la radio. Comme partout ailleurs, les charges fixes, les budgets de fonctionnement, prennent toujours davantage de place, au détriment de la création, de l’artistique. À cet égard, la radio est un équipement culturel comme les autres. Et, comme les autres, on demande à la radio, et à France Culture, de faire toujours plus et toujours mieux avec toujours moins de moyens. Mais à force de tirer sur l’élastique, on sait ce qui risque d’arriver…

Avec Internet, certains pensent que la radio est un média voué à mourir, qu’en penses-tu ? 

Je ne le crois pas. Avec Internet, la radio gagne en audience, et nous recevons régulièrement des messages du monde entier, ce que la diffusion hertzienne ne rendait pas possible. Mais je pense que l’attachement à l’objet radio est toujours très fort, et ne risque pas de disparaitre. Est-ce que les liseuses vont remplacer les livres ? Je ne le crois pas, même si ce n’est pas tout à fait comparable.
Internet est une chance, un atout supplémentaire, pas un danger. En tous cas pas pour France Culture.

En tant que journaliste et membre du groupe Radio France, comment as-tu vécu la récente grève ? 

Mal, comme la plupart des salariés de cette belle maison. Et j’ai mal vécu, également, la fin de cette grève, qui ressemble fort à un échec de ce mouvement. L’avenir nous dira (bientôt) à quelle sauce nous serons mangés…ou pas.

Un nouveau modèle est-il possible ? Selon toi, comment le groupe doit-il se réinventer pour perdurer ?

Très honnêtement, je ne le sais pas. Je n’ai pas une âme de dirigeant. Je ne crois pas avoir le logiciel pour ce genre de choses.

À quoi ressemblera le monde la radio dans 20 ans ?

Si on m’avait posé la question en 1995, j’aurais été très loin d’imaginer notre présent. Je ne me risquerai donc pas à cet exercice. Ou alors il faudrait que j’use de pensée magique : dans 20 ans, France Culture sera la première radio de France, sans rien avoir sacrifié de son exigence !

A propos de l'auteur

Créatrice de Spanky Few