Dans les années 60 apparaissait la musique indépendante dite « indie ». Symboles de créativité et de contre-culture, des labels tels que Motown, Rough Trade ou encore Stax devenaient la norme chez les mélomanes et révolutionnaient l’industrie du disque. Au début des années 2000, l’esprit indie s’imposait et symbolisait un renouveau créatif amplifié par Internet. Quinze ans plus tard, qu’en est-il ? Peut-on encore parler de culture indie ?

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Il y a quelques jours, on a lu un article dans les Inrockuptibles qui s’interrogeaient sur la pérennité de l’esprit indie à l’occasion de la sortie de Music For Misfits : The Story Of Indie. Avec ce documentaire, la BBC4 revient sur la musique indie et son évolution à travers les décennies et propose une nouvelle définition de ce terme aujourd’hui galvaudé, comme l’a récemment souligné Stuart Murdoch, frontman de Belle & Sebastian lors d’une interview pour The Guardian : “Je ne sais plus ce que signifie le terme “indie”. Je le vois apparaitre dans mes playlists Spotify: “Indie pour vos humeurs sombres« . Mais ça n’a rien à voir avec ce que je pouvais considérer comme indie. Pour être honnête, je pense qu’il s’agit de quelque chose joué à la guitare à la sensibilité légèrement plus douce.

Même son de cloche chez Cosey Fanni Tutti, membre du groupe Throbbing Gristle et créatrice du label Industrial Records en 1976 : « Dans les années 60, il y avait encore une approche. Peu de temps après, les labels ont voulu commencer à véritablement faire de l’argent. Nous nous sommes rendu compte (avec Throbbing Girls) que ces labels n’étaient pas dignes de notre temps. Pour moi, l’indépendance c’est avant tout avoir le contrôle sur la totalité de son travail. Aujourd’hui les labels indés se spécialisent dans des genres en particulier. Maintenant lorsqu’on parle d’un “groupe indie”, nous savons d’avance comment cela va sonner. C’est une véritable honte. »

Pour James Endeacot, ex de Rough Trade Records et aujourd’hui dirigeant de 1965 Records, la culture indie est plus une question de conviction que de business : “Pour moi, l’indie a toujours été une question d’énergie, d’esprit et d’attitude selon ce que tu faisais sur le moment plutôt que vers où tu souhaitais aller. The Strokes et The Libertines avaient ça. La musique n’est pas un cheminement de carrière, c’est simplement quelque chose que tu dois faire. C’est-à-dire monter dans un van pour te rendre à Leeds, monter sur scène et jouer ! Je pense que le fait que les membres des groupes indés aient aujourd’hui un job alimentaire aide l’industrie indépendante. Cela montre qu’ils ont envie de faire de la musique.

Les labels indépendants – malgré leur manque de moyen – peuvent-ils encore être un tremplin pour les artistes ? Cela ne fait aucun doute pour James Dean Bradfield des Manic Street Preachers, pour qui “les groupes veulent juste continuer et vivre à long terme. Alors que les groupes signés en indépendants avaient tendance à être institutionnalisés dès le départ. Ils voulaient donc rester sous cette égide. Aujourd’hui, les labels indés se définissent et sont perçus comme des tremplins. Vous avez tendance à penser qu’ils ne sont plus nécessairement signe de qualité. Alors qu’avec des labels comme Creation Records, c’était l’inverse. Ce n’est pas nécessairement mal, c’est simplement comme ça.

Tout cela est très bien, mais Spanky Few a eu envie d’interroger des musiciens dont les journaux ne parlent pas (assez). Des musiciens qui – souvent avec les moyens du bord – se battent pour lancer leur projet et se démarquer. Que pensent-ils de cette fameuse culture indie ? Est-elle vraiment galvaudée ?

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Pour Astrid, membre de TOOOD, la réponse est « oui, plus que jamais malgré une apparente uniformisation. Face aux trucs mainstream plus ou moins attractifs (qui ont et font du fric), il y a une multitude d’artistes et de porteurs de projets totalement indés, qui s’adaptent et font de ce manque de moyens une vision ultra-contemporaine de l’industrie elle-même. Il n’y a jamais eu autant de labels indés. Le numérique y fait beaucoup. On critique internet et la chute des ventes de disques, mais en 2015 on sait que ce n’est pas aussi binaire. La musique, qu’elle vienne des majors ou du Bandcamp d’un groupe du coin, n’a jamais été autant diffusée.« 

Pour Vanessa, du groupe Louves, « il y a tellement d’interprétations au mot indépendant que ça devient hypocrite, car même les majors parlent de leurs artistes en disant « c’est indé. » » Et là-dessus, on ne peut que lui donner raison. « En gros tu gardes ta race, ton indépendance, mais tu te débrouilles, tu bricoles. Tu construis toi même. Mais aujourd’hui, il y a tellement de groupes, de musique, qu’il arrive un moment où l’indé a ses limites. Tu es obligé de t’entourer. Mais l’idée est de pousser ta musique au maximum sans interférence extérieure.« 

Du côté de Yann de Aloha Aloha, « dans le domaine de la musique (comme dans le cinéma, apparemment), l’idée de ce qu’est « l’indie » est devenue très relative. D’une part, il y a des raisons purement économiques à cela : parce que les ventes de disque sont en baisse et que les marchés financiers cherchent à favoriser des entreprises qui sont soit très rentables, soit peu risquées (ce qui est rarement le cas dans les milieux artistiques), les majors ne jouent plus vraiment leur rôle de sélection artistique. Au lieu de cela, elles sous-traitent cette activité à des plus petites structures avec lesquelles elles ont un contrat de licence. Je pense que si tu regardes à la loupe des sorties de labels comme Universal ou Sony, tu verras que la plupart de ces disques sont en réalités produits par une boîte indépendante ou une filiale sous licence. Je pense par exemple aux derniers The Shins ou St Vincent qui sont respectivement des disques Sony et Universal, mais sont en fait réalisés par de plus petites structures (Aural Apothecary et Loma Vista, respectivement). Ainsi, la major n’assume plus qu’un risque très limité en cas d’échec. C’est pour cela que beaucoup de ces petites structures vivent un peu sous perfusion. Tu peux sortir un disque qui marche du tonnerre, mais péricliter quelque temps après juste parce que ça a à peine suffi à éponger tes dettes. À l’inverse, certains labels dit « indie » comme Because ou Pias ont désormais atteint une taille qui les placent à égalité non pas avec des majors, mais au moins avec certaines des filiales de ces majors. À partir de là, la vraie indépendance ne peut pas se jouer à cette échelle-là. En termes de méthodes de production et de marketing, j’ai franchement du mal à voir la différence qu’il existe entre Nolwenn Leroy (Universal) et Christine and the Queens (Because). Sur un plan plus artistique, maintenant, il y a l’idée de « l’indie » comme un style musical à part entière, style dont l’origine serait des groupes de la fin des années 70 et du début des années 80, tels que les Smiths ou Joy Division en Angleterre et Sonic Youth ou Dinosaur Jr aux États-Unis. Là encore, il me semble que ce genre a totalement périclité dans les années 90, au moment où paradoxalement il cartonnait le plus (le grunge aux US et la britpop en Angleterre). Paradoxalement, c’est au moment où ces groupes ont pris le pouvoir et ont souvent signés chez des majors que les labels indépendants qui les avaient soutenus au départ ont déposé le bilan (Creation et Sub Pop par exemple), mais aussi que la musique s’est uniformisée et que « l’indie » est devenu un terme générique pour désigner de la musique de blanc vaguement moins catchy que la pop commerciale, mais avec des codes tout aussi stéréotypés – le genre de visages un peu lassés qu’on voit en couverture de Magic ou sur les photos de Pitchfork. Bon, si je m’arrêtais là, le portrait que je dresse aurait l’air salement pessimiste, mais en fait, il y a deux faits qui contrebalancent cela à mon avis. D’abord, il y a des types au sein des majors – mais tout en étant totalement indépendants – des mecs comme Kanye West ou même récemment Miley Cyrus dont le degré de notoriété leur permet de tenter des choses relativement expérimentales. D’autre part, il existe une foultitude de structures qui ont totalement abandonné l’idée de vouloir percer dans le sens traditionnel du terme, des projets comme La Souterraine qui n’existent presque pas sur disque physique, mais sur des sites comme Bandcamp et diffusent du son à un coût proche de zéro et en totale indépendance. »

Pour Ramcé de Paris Acid Boys, il n’y a plus de culture mainstream car tout est indépendant aujourd’hui : « les médias mainstream meurent (radio / TV / journaux). De plus en plus de gens se font leurs propres réseaux de collecte d’info. Donc, de plus en plus de gens quittent le mainstream. On est dans un monde de niche aujourd’hui. Tu peux être super connu dans ton style et avoir que 300 fans. En tout cas, ce qui est sur, c’est qu’il y a une volonté de se différencier. À force de tous manger la même merde, on en peut plus. Donc, on cherche un truc unique, que personne ne connait… et dès que c’est connu, bah on en veut plus, car c’est affreux d’aimer ce que l’ensemble des gens aiment… on a l’impression d’être un mouton. Et puis, il y a une colère anti-système de plus en plus puissante. Aujourd’hui, un artiste fait tout tout seul : il compose, s’enregistre, se masterise, et presse presque son vinyle lui-même. Donc, à quoi sert la major ? Elle ne te booke pas, mais te vole 70% de toutes tes recettes pour s’occuper de toi donc tous les artistes deviennent indépendants. À nous de construire les médias de demain et le mainstream, c’est un indépendant qui a réussi, comme Ninja Tune par exemple.« 

Enfin, pour notre chroniqueur Musique Nicolas Beyer, également membre du groupe Masternova, il convient de ne pas confondre indé et indie : « Il y a « culture indé », une façon de produire/penser/consommer, et « l’indie rock », qui tend plus à être un style musical (Bloc Party, Kaiser Chiefs, etc)…« 

Et vous, qu’en pensez-vous ? Et si finalement, être indie aujourd’hui n’était-il pas de profiter de ce que le système actuel a à offrir en terme de possibilités – interaction avec le public via les réseaux sociaux, logiciels de production, clips home made – comme le font les artistes émergents actuels, à l’image de Jérémy Barlozzo que nous avions récemment interviewé ?

Source : Les Inrocks / merci aux témoignages de nos amis musiciens. Vous êtes l’auteur d’une des photos ? N’hésitez pas à nous contacter pour être crédité !

A propos de l'auteur

Créatrice de Spanky Few