Aujourd’hui, nous allons vous reparler de reconversion. Mais pas n’importe laquelle, celle de Caroline Simmonet. Caroline, on l’a connue il y a dix ans, quand on étudiait ensemble la communication. Cette personnalité anticonformiste nous avait marqué et on avait suivi son parcours avec intérêt sur les réseaux sociaux. Une décennie plus tard, on retrouve Caroline plus épanouie que jamais. En lâchant un poste de cadre en communication chez Véolia pour devenir agricultrice, elle ne s’est pas juste reconvertie. Elle a fait le choix d’un chemin de vie différent dont elle nous parle avec beaucoup de passion et de sincérité.

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Caroline, qu’est-ce qui a motivé ce changement de vie et pourquoi avoir choisi l’agriculture ?

À l’origine, je ne pensais pas être destinée à ce parcours de vie, qui peut paraître déroutant. Pourtant, comme ma famille et moi, il y a aujourd’hui beaucoup plus de personnes qu’on ne le pense qui empruntent un autre chemin que celui qui était tracé.

À force de constater que les choses ne vont pas dans le bon sens, on finit par se demander si notre vie à un sens. C’est ce qui s’est passé pour nous.

À Paris, entre les buildings et les grosses entreprises, lorsque l’on se doit de tenir son rôle, mais que l’on sent que ce rôle n’est pas le nôtre, il faut savoir faire des choix, pour soi, pour sa famille. Ça commence par là le changement ! On change d’abord de façon de voir les choses, puis de façon de penser, on prend conscience…

Lorsqu’il devient trop difficile d’agir en désaccord avec cette conscience, il faut prendre la décision d’agir. La vie est faite de choix, tous les jours. Et comme le disait si bien mon collègue de bureau chez Veolia : « choisir, c’est renoncer ».

On a donc renoncé à notre maison de banlieue parisienne et à nos salaires confortables. Mais également à notre routine, aux transports en commun si déprimants, à la grisaille, la mauvaise humeur et la tristesse.

On s’est demandé ce qu’on pourrait faire de vraiment utile. Je travaillais à l’époque avec des chargés de projets sur des missions de biodiversité pour mon entreprise. Pour moi, ça a commencé comme cela. Je suis une urbaine pure souche, née à Lille. Mon environnement n’était fait que de briques rouges et de pavés. Mais j’ai toujours été poussée à franchir les limites de cette vie citadine, tournée vers plus de verdure et de beauté. En travaillant avec ces gens-là, j’ai appris, j’ai commencé à toucher du doigt ce pour quoi j’étais faite. Je ne voulais plus être spectatrice, je voulais du concret. Quant à mon mari, son rêve c’était de planter des arbres !

Alors, on est parti, contre toute attente, on a franchi nos propres limites, on s’est lancé !

Beaucoup de reconversions font suite à un « burn-out » ou à un rejet du système de l’entreprise. Quel a été le déclic pour toi ?

Pas de burn-out pour nous. Quant au rejet de l’entreprise, oui certainement , c’est un rejet de l’entreprise telle qu’on la connaît aujourd’hui. Surtout de la manière dont elle fonctionne en interne ; les petites guerres, les gros égos, les mensonges. La manière dont on utilise les gens sans se demander quelles pourraient être leurs vraies motivations, ce qui pourrait leur donner envie de se lever le matin. Je pense que c’est cela, le vrai déclic.

C’est le manque de considération que les gens ont pour les autres et qu’ils ont donc pour eux-mêmes !

Si la gouvernance des entreprises était plus durable, plus humaine, moins centrée sur un système ascendant, où ceux du bas donnent tout à celui qui leur jette des miettes, tout le monde irait mieux ! Le monde irait mieux !

Ce changement de vie a été une source de crainte pour toi ou as-tu de suite été soulagée d’avoir trouvé un projet professionnel qui te convienne ? Avec du recul, quel bilan tires-tu de cette reconversion ?

Pour nous, il s’agit de bien plus qu’une reconversion professionnelle. C’est un projet de vie. On ne parle plus juste de faire quelque chose pour avoir un salaire et pour pouvoir payer toutes les choses que nous impose la société.

Évidemment, il y a des craintes, des peurs, des doutes, des remises en question, des périodes plus difficiles, mais, comme on le fait dans une conception en permaculture, il faut toujours revenir au Rêve, le garder à l’esprit. Vivre chaque instant pour ce qu’il est, c’est une solution.

Nous avons encore un long chemin à faire et nous tendons continuellement vers ce Rêve. C’est toute la beauté d’un projet comme celui-là, il tend vers l’infini et pour nous l’infini n’existe pas ! Je pense que le bilan est encourageant, mais je ne dis pas que devenir paysan c’est le paradis !

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Tu ne t’es pas juste lancée dans l’agriculture puisque tu as choisi la permaculture, à propos de laquelle tu proposes des formations. Quelle est la raison de ce choix ?

C’est plus facile de commencer par la permaculture quand on n’est pas issu du monde agricole. Quand on n’a pas été formaté par un système agricole tentaculaire, on peut plus facilement sortir de ces schémas prédéfinis.

Quand j’ai commencé à me renseigner sur l’agriculture, avant mon entrée en BPREA (Brevet responsable d’exploitation agricole), j’étais déjà séduite par l’éthique de la permaculture. Je n’y comprenais pas grand-chose en fait, mais ça me plaisait ! Je confondais tout, la permaculture, la biodynamie, l’agriculture paysanne, l’agriculture naturelle… même si pour moi, aujourd’hui, toutes ces notions ne sont pas forcément indépendantes et dissociables.

C’est la permaculture qui est venue à moi, comme elle viendra a ceux qui s’interrogent sur le sens de la vie, sur la façon dont fonctionnent les écosystèmes, qu’il s’agisse d’écosystème humain, animal ou végétal et de leurs interconnexions.

Comment fonctionne la nature et comment s’inspirer de son fonctionnement à tous les niveaux de la société, dans tous nos choix personnels ou professionnels, que l’on soit paysan ou pas ?

C’est cela qui nous guide. C’est pourquoi, après quelques semaines passées sur la ferme du Bec-Hellouin, en Normandie, nous allons nous aussi commencer des formations en permaculture sur notre ferme. Nous avons envie de transmettre son éthique et ses principes et nous avons envie de raconter notre histoire pour inspirer d’autres néo-paysans qui s’ignorent ou au moins contribuer à une prise de conscience plus générale afin que les actes du plus grand nombre soient dictés par plus de sens moral, par plus de conscience et plus de respect de ce qui nous entoure et qui nous permet de respirer.

Pour ceux qui ne connaissent pas la permaculture, peux-tu nous en parler ?

Il est toujours très difficile de parler de la permaculture de manière résumée ! La permaculture, ça commence par l’observation de la nature et de son fonctionnement.

Cette observation nous inspire et nous pouvons ensuite reproduire ce qui se passe dans les écosystèmes naturels pour concevoir des modèles agricoles, industriels et/ou sociales, soutenables, autonomes et résilients, grâce à l’optimisation de la consommation des énergies (humaines, fossiles, renouvelables), à l’efficacité des interconnexions entre les milieux, à une meilleure utilisation de l’espace, à un nouveau mode de gouvernance…

Tout cela doit répondre au mieux aux besoins des êtres vivants, en respectant la nature et la biodiversité. Les 3 piliers de la permaculture : prendre soin des hommes, prendre soin de la nature, produire l’abondance et partager les surplus. C’est si simple et pourtant si loin de notre système de pensée actuel.

Comment expliquer que la permaculture soit si peu connue, voire reconnue en France ?

La permaculture est un concept qui a été inventé dans les années 70 par David Holmgren et Bill Mollison. Elle est très connue et reconnue dans d’autres pays notamment en Australie pour avoir aidé à reconstituer des systèmes entiers, de l’aggradation des sols à la protection contre les incendies de forêt, en passant par l’économie des ressources en eau et à la reforestation.

C’est un système de pensée qui implique de changer de paradigmes, d’arrêter de mettre un pansement sur des blessures qui pourrissent en dessous du pansement ! Et nous, les français, ce qu’on aime, c’est bien le sparadrap !

Lorsque l’on voudra vraiment trouver des solutions durables pour l’avenir de tous et pour l’avenir de notre planète, on se mettra à parler efficacement du concept de la permaculture !

En quoi la permaculture représente-t-elle un avenir pour l’agriculture, on pense notamment à la crise agricole ?

La crise agricole est un problème très sérieux que l’on prend trop souvent à la légère !

La mort des petites exploitations agricoles et trop souvent de leur exploitant est devenue « normale », « habituelle ».

Qu’est-ce qui est fait pour sortir de là ? Rien. On fait des beaux discours et on étouffe les cris à coûts de subventions ! Quand il y en a ! Mais quand les supermarchés fermeront, quand se nourrir deviendra compliqué, c’est à ce moment-là qu’on prendra peut-être le problème au sérieux ! Il faut bien comprendre que la permaculture n’est pas une façon de faire de l’agriculture, elle s’étoffe à tous les schémas de pensée, à tous les systèmes !

Sa vision révolutionne le monde agricole, car elle prône le respect, le partage, la bienveillance, des systèmes à petite échelle plus complet, avec plus de gens donc plus d’emplois, plus de fonctions sur un même lieu. Cela entraîne moins de solitude, plus d’entraide, des prises de décisions collégiales donc de nouveaux modes de gouvernance. À plusieurs on voit plus loin. Les éléments ont plusieurs fonctions donc on fait des économies d’échelle, de temps dans nos déplacements, de matériel dans nos constructions, donc d’énergie à tous les niveaux. On soigne le sol pour lui redonner vie, on fait des économies de ressources, on réutilise, on se réapproprie d’anciennes techniques, d’anciennes pratiques. Ce n’est pas un retour en arrière, au contraire, c’est réapprendre à faire bien, à s’intéresser à l’essentiel.

Et pour l’environnement au sens plus large ?

Planter des arbres, pailler les sols, économiser l’eau, redonner vie à la nature, redonner vie aux valeurs humaines, prendre soin de tout ce qui existe, c’est assez large non ? Il faut être conscient que les premières sources de dégagement de carbone dans l’atmosphère sont causées, d’une part, par les trop nombreux labours sur des millions de km2 de parcelles agricoles, puisque c’est le sol qui stocke le carbone, et d’autre part par la destruction des zones boisées. Si on plante des centaines de millions d’arbres et qu’on arrête complètement de labourer, on aura déjà fait un grand pas dans la démarche de progrès ! Et ce n’est pas compliqué !

Comment la permaculture va-t-elle évoluer à l’avenir selon toi ?

J’espère que le concept de la permaculture va se généraliser, qu’il va rentrer dans les maisons, les entreprises, à l’école. Une fois qu’il est compris, il ne peut plus être laissé de côté. Tous ces sujets sont primordiaux pour l’avenir de notre planète et l’avenir de l’humanité. Le nouvel ordre imaginaire est en marche, il est temps d’y participer !

Si vous souhaitez aller à la rencontre de Caroline, de son domaine et pourquoi pas, être formé(e) à la permaculture, rendez-vous Aux jardins des Colibris.

A propos de l'auteur

Créatrice de Spanky Few