Selon une récente étude publiée par le site 20minutes, plus de 50% des artisans en activité sont d’anciens cadres. Besoin de concret, de fuir un système bureaucratique de plus en plus pesant… Ils sont aujourd’hui beaucoup à vouloir changer de vie. Damien Moreau, ancien pubard reconverti dans la charpente, a été l’un d’eux. Rencontre.

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Au début de ta carrière dans la publicité, t’imaginais-tu tout lâcher pour faire un métier manuel ? 

Absolument pas. J’étais graphiste, j’adorais ça, j’aime toujours ça d’ailleurs. Je ne voulais vraiment pas faire autre chose.
Pourquoi avoir choisi le métier de charpentier ? 
Après pas mal de réflexion sur ce que je voulais faire de ma vie –  et ne pas faire – j’ai eu plusieurs idées. Je suis allé sur le terrain et me suis confronté à la réalité du travail. Pas qu’en charpente, j’en ai profité pour tester d’autres trucs. En parlant de mon projet de changement autour de moi, des opportunités se sont créées. Il s’est avéré que la charpente répondait positivement à la plupart des attentes que j’avais de ma nouvelle vie professionnelle, alors j’ai creusé.
Beaucoup de reconversions font suite à un « burn-out » ou à un rejet du système de l’entreprise. Quel a été le déclic pour toi ? 
Pour moi, pas du tout. Je ne vais pas cracher sur le milieu qui m’a fait bouffer pendant 10 ans. J’ai toujours su ce qu’était le milieu de la pub et j’y trouvais mon compte. C’est plus parti d’une réflexion personnelle : je ne voyais pas de perspectives ; la taille de l’entreprise où j’étais me semblait être la source de tous les problèmes (process, humain, qualité des projets, concessions…), mais je ne me sentais pas assez bon pour postuler dans un plus petit studio avec de grosses ambitions graphiques. C’est à partir de ça que j’ai cherché une porte de sortie.
Quelle a été la réaction de tes proches en apprenant que tu allais quitter un emploi confortable pour te lancer dans un secteur inconnu ? Et celle de tes anciens collègues ? 
Gros soutien de la part de ma compagne que je venais de rencontrer à l’époque et qui passait d’un mec au salaire correct à un ouvrier apprenti en lycée professionnel.
Pour mes collègues, j’étais dans une super équipe, très soudée, ils savaient que j’avais ça en tête, personne n’a été surpris. Plus largement autour de moi, beaucoup de gens rêvent de « changer de vie » – c’est eux qui le disent -, quand tu le fais, tu allumes une flamme dans leurs yeux (j’exagère à peine). Pour les proches, c’est une chose, mais ça va plus loin : j’ai reçu des mails d’amis d’amis qui me posaient des questions sur ça. Ce qui est fou, parce que vraiment, si ton projet est bien réfléchi ce n’est vraiment pas si compliqué.
À quels défis as-tu été confronté ? On pense notamment aux problématiques financières que peut entrainer un changement professionnel comme le tien. 
Ça va te sembler bizarre, mais je n’ai pas le souvenir d’avoir eu des difficultés. Quelques petits aprioris de certains collègues sur le fait d’être diplômé, « pubard », et parisien. Mais rien de méchant.
Comme je te le disais, j’ai cherché un nouveau métier en allant sur le terrain. J’ai fait un bilan de compétence qui, puisque je le faisais en sachant vers quoi je voulais me diriger, a été très encourageant. En parlant autour de moi de ce projet, j’ai pu être bien renseigné sur les démarches à suivre pour le financement de ma reconversion. Enfin, je me suis formé, et j’ai cherché du travail. J’ai commencé par des trucs pas passionnants, ça fait partie du jeu, tout en continuant à chercher un projet ou une entreprise qui colle parfaitement à ce que je voulais faire.
Il faut y consacrer beaucoup de temps : appeler, se déplacer, convaincre. Rien de facile, mais il n’y a rien de nouveau la dedans.
En ce qui concerne l’argent je n’ai jamais gagné des sommes folles, mais je suis parti du constat que mon compte avait le même découvert à la fin de mois que je gagne 650, 1500 ou 2300 euros. Et que je n’étais pas plus heureux avec un gros salaire qu’avec un petit. Pour moi, gagner plus me permet d’être moins organisé, c’est tout. La « régression » n’a pas été trop dure, je prévois plus, je profite plus de ce que je fais et comme je le disais, mon compte finit toujours avec le même découvert.
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Ce changement de vie a été une source de crainte pour toi ou as-tu tout de suite été soulagé d’avoir trouvé un projet professionnel qui te convienne ? 
Soulagé ce n’est pas le mot, mais je suis très content de ce changement.  La seule question que je me pose de temps à autre est : est-ce que ce changement de vie n’est pas motivé par une peur d’affronter les difficultés de mon ancien travail ? Si c’est ça, ce n’est pas bon et j’angoisse de savoir ce que je ferais si je devais fuir en avant une fois de plus. C’est d’ailleurs l’un des points qu’on aborde pendant le bilan de compétence. Heureusement, mon quotidien me prouve que ma motivation est ailleurs.
Comment tu te sens aujourd’hui vis-à-vis de cette reconversion ? Quel bilan en tires-tu ? 
Le bilan est très positif, surtout parce que je travaille dans une entreprise qui me correspond bien. Malgré tout, je ne fais pas encore exactement ce que je veux à 100%, il faut encore approfondir, travailler, se développer, suivre ces nouvelles perspectives justement.
Comment expliquer que de plus en plus de cadres changent de vie et se reconvertissent dans la filière artisanale ? 
Il y a surement un côté « l’herbe est plus verte de l’autre côté de la barrière ». On a toujours l’impression qu’on s’ennuie, mais souvent on a juste plus l’énergie de se motiver. Ces gens sont faciles à reconnaitre, ils te disent :  » je veux changer, mais je ne sais pas du tout quoi faire… » Le travail est tellement différent entre l’artisanat et la vie de bureau qu’on n’a aucun point de comparaison. On peut donc fantasmer à fond ! Après, le fait que ce soit possible et assez facile de faire ce genre de chose en France aide beaucoup de personnes à se lancer.
Cela dit, les changements de vies professionnelles ont toujours existé, surtout dans le milieu de la publicité où on se sent vieux à 35 ans, l’âge où on réalise qu’il n’y aura pas de place de DC pour tout le monde.
Après, il y’a un truc plus moderne, il ne faut pas se le cacher : tout le monde à l’impression (pas toujours fausse, dans les grosses boites notamment) que même si on s’implique, on peut se faire virer. C’est très cliché, mais on voit bien que ce n’est pas la qualité et l’implication qui dirigent les entreprises en 2015. À partir de là on peut comprendre que les gens cherchent des issus de secours.
Penses-tu que des parcours tels que le tien contribuent à revaloriser la filière artisanale, parfois injustement considérée ?
Non pas vraiment, parce qu’on rencontre de tout : des artisans super forts qui ont commencé le métier à 16 piges en mode « voie de garage » et des anciens ingénieurs sur-diplômés qui se posent trop de questions et qui n’avancent à rien sur les chantiers.

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Créatrice de Spanky Few