Lara Orsal, c’est peu The Queen Of The Web. Cette Superwoman de la musique est toujours à l’affut des dernières tendances musicales et des nouveaux artistes qu’elle défendra avec passion. Rencontre avec cette évangéliste de la musique.

Lara Orsal

Lara Orsal

Salut Lara, peux-tu nous parler de ton parcours ? Qu’est-ce qui t’a conduit à la promotion d’artistes ?

Salut Déborah ! Alors, j’ai grandi dans l’amour de la musique, dans une communauté d’artistes, et j’ai un parcours d’autodidacte : j’ai commencé comme journaliste online et ai passé huit ans dans la presse écrite musicale et culturelle. Dans le même temps, j’ai eu l’occasion de faire de la promo web, métier naissant à l’époque, et en bonne geekette, j’y ai vite pris goût : c’était en 2001, la première bulle Internet venait d’exploser, les maisons de disques ne comprenaient pas grand-chose à ce qui se tramait sur le web, n’anticipaient pas vraiment la révolution que ça allait être. J’y voyais un formidable vivier de possible, j’étais très excitée, enthousiaste à l’idée d’avoir une position privilégiée pour observer ce qui se créait dans cet immense terrain de jeux, et même y contribuer, modestement. On ne parlait que de musique, culture et technologies avec les rédacteurs de webzine puis avec les blogueurs : ils étaient alors totalement à la marge du système du music-business, et fonctionnaient en contrepoint des médias traditionnels. Ce métier me donnait chaque jour l’occasion d’échanger avec des passionnés, en dehors de tout rapport marchand : je proposais, ils disposaient, c’était royal. J’ai abandonné le journalisme pour des raisons éthiques, et suis passée de l’autre côté du miroir sans regret, car c’est être au plus près des artistes, et les accompagner sur le long terme qui m’intéresse. On construit des histoires, on chemine ensemble.

Comment est né le collectif IVOX ?

IVOX est né dans mon esprit il y a dix ans, et s’est concrétisé au fil des ans, à la grâce de jolies rencontres : il y a des personnes que je croisais dans le cadre de mon travail et que j’aimais apprendre à connaître, dont j’appréciais la démarche, l’état d’esprit, l’éthique professionnelle, chacun dans son domaine ; et des amis dont les compétences pouvaient donner lieu à ce qu’on travaille ensemble. Fin 2006, j’ai fait se rencontrer les uns, les autres, et j’ai eu de la chance, ça a pris ! Puis les uns nous ont fait rencontrer les autres, on a constitué des équipes et monté ou rejoint des projets : ça a toujours fonctionné à l’humain, à l’instinct, à l’envie. J’ai eu la chance de rencontrer mon alter ego, qui est mon associé depuis quatre ans (Thomas Ducrès), nous avons renforcé notre ligne de conduite et notre ligne artistique : IVOX ne serait pas ainsi sans lui. Nous ne travaillons qu’autour de projets que nous aimons profondément, et ne développons de pôles de compétences et de projets, qu’en fonction de nos envies et des opportunités qu’on saisit -jamais par calcul stratégique ou logique commerciale (ça, on ne sait pas faire, et surtout, on s’en fout). Enfin, c’est un peu politique, nous cherchons à créer et nourrir des cercles vertueux.

Chez IVOX, vous faites de la promotion, du développement, du management, du brand content… Comment faites-vous pour tout gérer ?

J’ai cherché une réponse intelligente (si possible 😉 ) à te faire, un truc qui ait un peu d’esprit, de consistance, que je puisse développer. Mais je ne trouve pas, car la réponse est simple, en fait : on y arrive à force de travail, tout bêtement ! On sait faire plusieurs choses, on sait bien s’entourer, on n’aime pas qu’une journée ressemble à la précédente, et puis je crois surtout que nous sommes une sacrée tripotée de workaholics. On ne s’alerte pas trop pour autant, car, entre nous, quand tu fais ce que tu aimes, que tu apprends tout le temps, et que tu t’amuses souvent, tu ne t’inquiètes pas trop de tes abus de boulot !

 Il y a d’autres compétences que vous aimeriez développer à l’avenir, comme l’édition par exemple ?

On développera peut-être l’édition, mais en co-édition sans doute, avec des personnes dont c’est le métier et qui ont une éthique proche sinon similaire à la nôtre : on aime beaucoup l’équipe d’Alter-K, par exemple, on en parle… Ce n’est pas vraiment par envie qu’on deviendrait éditeurs, mais par nécessité, pour le coup : si l’on veut être capable de s’engager, d’investir encore plus dans le développement de ‘nos’ artistes, il va falloir qu’on se donne les moyens financiers de le faire. Le bricolage a ses limites. Or, jusqu’à maintenant, on a un peu oublié d’être vénal. On arrive probablement à ce tournant, un peu comme quand on devient adulte, où l’on accepte d’être plus raisonnable et responsable dans ses considérations, sans cesser d’être idéaliste pour autant. C’est encore en chantier, en réflexion, on y pense. On a très envie de monter notre label, aussi, même si à cette époque, ça peut sembler suicidaire : mais c’est juste qu’on n’en peut plus de voir des artistes/groupes en qui l’on croit dur comme fer, ne pas susciter la même foi chez des labels que l’on pense faits pour les accueillir, alors qu’on a de super partenaires en distribution (The Orchard, IDOL…), et en tour (Dans La Boîte, 3C, Furax…). On comprend la frilosité des labels, qui s’explique bien souvent par des motivations financières, mais bon, à un moment donné, si plus personne ne bouge, rien ne se passe. Quand faut y aller, faut y aller : on ira probablement le couteau suisse entre les dents !

Ivox

Ivox

Le fait de travailler en équipe, avec d’autres pointures de la musique, ce n’est pas trop difficile à gérer en terme d’emploi du temps, d’égo ?

On a passé l’âge d’avoir de l’orgueil dans le boulot, franchement ! Et puis l’ego, c’est réservé aux artistes, ne nous trompons pas, nous savons où est notre place et quel est notre rôle : ce n’est pas nous qui créons, nous ne sommes que des symbiotes. Nous sommes enthousiastes, humbles, admiratifs, et tellement pas dans l’esprit de compétition que ça ne nous pose aucun souci de travailler avec des pointures : on ne souffre ni d’être intimidés, ni d’être envieux. On est juste super heureux de contribuer d’une manière ou d’une autre à mettre en valeur des œuvres qui nous émeuvent, d’apprendre plein de trucs, de bosser avec des artistes qu’on estime, et des gens qu’on aime, tout simplement. C’est l’émulation qui nous motive, c’est vers ça que nous tendons. Quant à nos emplois du temps, on se régule, il faut juste être rigoureux et bien organisés ! Évidemment, il faut savoir refuser, de temps à autre, un projet qui s’inscrirait mal dans son planning, même si on aurait aimé l’accepter… La vie, les choix, quoi.

En ces temps difficiles pour les artistes et la musique en général, quelle est la place de la promotion et du management ?

La place de la promotion ? Incontournable. Du management ? Indispensable. On pourrait considérer que la promotion est loin d’être inévitable, en soi. Dans l’absolu, l’art pourrait se suffire à lui-même, et l’on a connu des époques où les batailles médiatiques et publicitaires étaient moins cruelles, et plus saines, voire dispensables. Mais le contexte actuel fait qu’il ne suffit plus d’être artiste : il faut aussi savoir bien s’entourer, se faire représenter (fidèlement, de préférence), et ne pas avoir peur de travailler, « à la guerre comme à la guerre ». Le talent ne suffit plus, on pourrait discuter philosophie pendant des heures autour de ce constat, mais comme ça ne ferait pas avancer le schmilblick, j’ai tendance à considérer que ce n’est ni un bien, ni un mal : c’est un fait avec lequel il faut composer. La place du management ? Incontournable. Ingrate et aléatoire bien souvent, mais incontournable. À mon sens, un manager doit être pour l’artiste comme un véritable ami : quelqu’un d’honnête avec vous et de lucide quant à vous, qui vous aide à ne pas perdre de vue vos objectifs, à ne pas dénaturer votre personnalité pour les atteindre. Le manager doit avoir de la distance, une certaine hauteur de vue, voire une vision, qui seront des outils pour que l’artiste reste fidèle à sa personne, et à son propos, au fil du temps et des évolutions. Ni indulgent, ni intransigeant. Enfin, il doit défendre les intérêts de l’artiste en n’oubliant jamais qu’ils sont prioritaires sur les siens (sinon, ce n’est pas professionnel).

En terme de promotion, tu travailles via le web. Est-ce une passion pour toi ? Quels sont tes sites de référence ?

Ma p’tite dame, j’avais un modem 28k, un mac performa, et un ingénieur informaticien en guise de conjoint : j’ai vu naître l’Internet et on est de suite devenus copains !  Évidemment que c’est une passion : c’est passionnant ! Nous sommes dans l’ère des nouvelles technologies, dont le tempo est beaucoup plus rapide que celui des précédentes révolutions industrielles. Ça change tout le temps : soit tu t’adaptes, soit tu meurs. On a vu plus anesthésiant pour l’individu, comme environnement ! Et puis, ce qui me ravit là-dedans, c’est que ces technologies et certaines des philosophies qui les accompagnent (l’open-source, le share…) impulsent des changements sociétaux très intéressants. Le système pyramidal se dissout peu à peu, on arrive à un système horizontal qui s’étend par cercles concentriques et favorise la sérendipité, le métissage culturel et la mixité. L’humain se développe, et donc s’épanouit, différemment. L’autre ne nous est plus opposé, il n’y a plus lieu de chercher à en disposer : l’autre est un ailleurs, accessible et prodigue. Le savoir n’est plus un privilège, mais une richesse commune. En ça, l’Internet est le meilleur serviteur de la culture pop. Donc, je like ! Je n’ai pas de sites de référence, ou plutôt, ça m’embêterait bien d’en citer, car ce qui serait vrai aujourd’hui ne le sera pas demain : l’univers des nouveaux médias, et ses acteurs changent tous les six mois. Disons que j’ai des réflexes d’intello-bobo-geek, je consulte souvent Wired, Slate, Owni, les sites de Libé, Mediapart, Arrêt Sur Images, The-Drone, Arte Live Web, Gonzaï, Discordance, Hartzine, FroggyDelight, Le-Hiboo, Mowno… Je crois que je vais m’arrêter là, sinon, t’as pas fini de scroller !:)

Penses-tu que les blogs soient de nouveaux médias à part entière ?

Revenons à la signification première du mot « medium » et la réponse s’imposera : ce mot vient du latin « medius », soit un milieu, et un moyen. Par extension, c’est un facteur, un transmetteur, un intermédiaire entre l’information et l’informé(e). Donc, toute personne qui s’exprime publiquement est un medium en soi, déjà. Ensuite, toute publication répondant à une charte éditoriale fait partie des médias. Au départ, on a parlé de « new media » non pas par rapport aux nouveaux acteurs qui les créaient/animaient, mais par rapport au fait que les nouvelles technologies permettaient l’émergence du multimédia et variaient les types d’interfaces : désormais, on pouvait marier texte, hypertexte, audio, photo et vidéo sur un seul et même support. C’est la richesse créée par l’alliance de ces outils de traitement de l’information qui a fondamentalement changé la donne. Dans le même temps, au même titre que faire de la musique devenait accessible à tous avec le home studio, écouter de la musique (car la diffuser) devenait accessible à tous avec l’Internet. En parler a toujours été accessible à tous, en revanche : le blogueur, c’est ton ami qui revient d’un concert et t’en parle avec des étoiles dans les yeux, ton cafetier qui diffuse tel ou tel disque et en parle avec toi autour du comptoir. Il se trouve juste qu’aujourd’hui, ces prescripteurs ont un outil qui porte leur voix plus loin, au-delà de leur premier cercle et de leur quartier. Je n’attends pas d’un blogueur qu’il soit un journaliste ou un disquaire, et au passage, on aurait pu éviter de leur en faire procès toutes ces années, si on n’avait pas eu vis-à-vis d’eux d’attentes démesurées… si on ne  leur avait pas accordé de pouvoir démesuré non plus, note. Je suis une ancienne blogueuse, j’ai connu la sollicitude ridicule et illégitime qui allait avec : effet de mode, marketing, etc. On en revient peu à peu, fort heureusement. Mais ça a laissé des traces, il y a eu des dommages : le réseautage et le népotisme ont bien fleuri dans la blogosphère… Comme dans tous les médias.

Avec iTunes, les concerts en appartement, des concepts tels My Tour Manager, Internet est-il l’avenir de la musique ?

Ce sont les musiciens qui détiennent l’avenir de la musique, attention. Et personne d’autre… Et tant mieux !! Les techniciens et les corporations qui les emploient détiennent une partie de l’avenir des modes de diffusion de la musique, nuance. iTunes détient illégitimement des millions de dollars, et vise un monopole, GROSSE nuance. Les concerts en appartement détiennent, au même titre que toutes les entreprises individuelles vertueuses, telle MyTourManager que tu cites, la possibilité de ne pas devenir des systèmes iniques abusant les artistes : attendons de voir ce qu’ils en feront, on juge sur faits. Quoi qu’il en soit, je crois qu’Internet est en grande partie l’avenir de l’humanité, mais pour revenir à ta question de départ et boucler la boucle, ce sont les musiciens qui sont, et feront avec les mélomanes, l’avenir de la musique. Quant à l’avenir des industries relatives à la musique, je ne suis pas devin, je le découvrirai comme toi.

Revenons à toi ! Quels sont tes derniers coups de cœur musicaux ?

Tous les artistes qui me confient leur management/développement sont des coups de cœur musicaux, alors, je commencerai en les citant : Laetitia Sheriff, The Aerial, Monogrenade, Steeple Remove, les Bikinians, Karkwa, Louis-Jean Cormier, Julien Sagot, Montgomery… Parmi les albums que l’on a promus récemment chez IVOX, j’avoue avoir été totalement retournée par les derniers Liars, Limousine et Here We Go Magic. Parmi les coups de cœur de simple mélomane que j’ai eus récemment, je citerais Django Django, Alt-J, Daniel Rossen (j’ai si hâte d’écouter l’album de Grizzly Bear), Connan Mockasin, Tame Impala, Balthazar, Applause, James Pants, Chassol,Twin Shadow…

The Aerial

The Aerial

Quels sont les artistes avec qui tu aimerais travailler personnellement ?

Yann Tiersen : et j’ai eu l’honneur qu’il vienne me chercher. Tu m’aurais dit ça il y a quelques années, honnêtement, je n’y aurais pas cru. Idem pour Laetitia Sheriff, que j’attendais patiemment depuis plus de dix ans. J’aurais aimé travailler avec Grizzly Bear, mais pour les avoir rencontrés en ITV, ils ne sont pas super fun… Et ils ont choisi de travailler avec d’excellents confrères, donc c’est sans regret. J’adorerais travailler avec Radiohead s’ils se remettaient à innover (et s’ils quittaient Live Nation), et avec PJ Harvey sans condition aucune. Et j’attends de découvrir mes prochains Graal, mais sans trop d’empressement, car je me sais déjà bien gâtée !

Quels sont ceux qui selon toi vont buzzer dans les prochaines semaines voire les prochains mois ?

Je répondrai concernant les Français uniquement, car je ne prétends pas avoir une veille aussi active concernant les groupes qui émergent à l’international. Je pourrais te parler des Canadiens, mais il faut attendre que je sois revenue du FME pour en avoir découvert plein de nouveaux en live là-bas… Lescop : talenteux, doué, intelligent, mec bien. Très bien entouré. Il ira loin. Mermonte et La Terre Tremble : ils ont l’énergie et la force de création des plus grands collectifs (à la Broken Social Scene, Constellation…), ils bouillonnent. Pendentif et Granville : enfin le renouveau de la pop, ces jeunes gens sont décomplexés, débarrassés des ombres tutélaires de la chanson française, qui obligeaient jusqu’ici soit aux textes « engagés », soit à la littérature de bas étage. Ils innovent, ils sont frais. The Aerial : ils ont tout compris, et on le comprendra grâce à eux, ne les en surprenne.

Quels seront les événements musicaux immanquables cet automne ?

Ce seront des festivals, car ce sont les festivals qui aujourd’hui remplissent le rôle de défricheurs et/ou accélérateurs de talents. Marsatac fin septembre à Nîmes et Marseille;   le MaMA fin octobre à Paris, les Rockomotives à Vendôme fin octobre/début novembre, le festival des Inrocks début novembre, le BBmix à Boulogne fin novembre, les Trans à Rennes et le Generiq dans l’Est en décembre. Ces festivals ont d’excellentes programmations, toutes discutables soient-elles par les professionnels parfois… Du point de vue du public, je les trouve bien équilibrées, donc irréprochables. Voilààà, vous savez ce qu’il vous reste à faire avant la fin du monde ! :)

Lara Orsal par Juliette Robert

Lara Orsal par Juliette Robert

A propos de l'auteur

Créatrice de Spanky Few