Qui se cache derrière Denise Labouche, la rousse la plus incendiaire et mystérieuse du paysage littéraire français ? Réponse avec les créateurs de Denise Labouche Revue, devenue entre temps Denise Labouche Editions, collectif à contre-courant qui nous parle d’écrivain, d’édition et de bien d’autres choses.

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Hello Denise, pouvez-vous nous parler de vous et de votre projet Denise Labouche Revue ?

ST : Denise est un collectif d’auteurs-éditeurs bien assez dingues pour croire que l’on écrit encore pour être lu.

Comment est née Denise Labouche Revue ?

ST : Denise Labouche, c’est l’histoire d’une vieille poupée américaine que j’ai rencontrée dans un Barber Shop quand j’enseignais des trucs sérieux à des étudiants très riches à l’université d’à côté. Elle m’a dit son nom quand elle a découvert que j’étais « so French », intimement persuadée que « Labouche » était le parfait équivalent de « Shut up » en anglais. Je ne lui ai pas dit qu’on ne disait plus ça depuis qu’ils sont venus laisser leur peau en Normandie, pensant de mon côté que son nom valait bien le pseudonyme d’une actrice porno des 70s. Au même moment, nous partagions avec François, Fran et un étudiant américain la responsabilité d’un site littéraire bilingue qui a capoté. A mon retour, on s’est remis au travail. Et Denise Labouche Revue est née !

FM : Le site littéraire en question n’a pas duré longtemps, l’étudiant américain avait plein d’idées et les dents blanches, mais c’était un branleur…. Il n’a finalement jamais rien écrit, sans déconner. En fait, le moment où c’est devenu sérieux, c’est selon moi quand on a réussi à respecter un rythme de parution hebdomadaire, à enchaîner des papiers qu’on aimait bien.

Comment Denise Labouche Revue se positionne-t-elle par rapport aux autres magazines en ligne ?

TL : Etant un collectif, on ne fonctionne pas comme une rédaction avec des journalistes ceci, un pigiste cela et des stagiaires à molester (malheureusement, pour ce dernier point). Et on fonctionne de manière collaborative, on essaie de se compléter les uns les autres, de s’appuyer sur les connaissances de chacun pour monter la structure, avancer, progresser, construire quelque chose de beau. C’est important le beau.

ST : C’est très important le beau ! Puis de manière générale, on emmerde les journalistes. Car la web-culture, il faut le dire, c’est quand même hyper décevant. Les contenus artistiques et culturels souffrent beaucoup de la dématérialisation du support papier, on le voit bien : l’omniprésence et la survalorisation des « live-reports » en musique, la course aux comptes-rendus de lecture, ou encore l’arrivée de la « micro-critique » dans le cinoche, sont autant de fenêtres castratrices qui légitiment un traitement bâclé, et complètement futile, de l’objet. Mais peut-être que je suis un vieux con.

FM : Mais c’est important, les vieux cons. Je me considère moi-même comme un réactionnaire, au sens premier du mot : je pense qu’en de nombreux domaines, c’était mieux avant. Et particulièrement dans le domaine de l’édition : on vante souvent les mérites de l’information en ligne, la profusion des magazines participatifs, bla bla bla. Au final, je ne trouve pas qu’il y ait une plus-value par rapport au support papier. Sans compter qu’il est prouvé scientifiquement que la lecture sur support numérique est un désastre en termes d’attention, de concentration et de profondeur. On ne peut pas complètement rejeter ce support, ce serait suicidaire et complètement con, mais je ne le considère que comme une étape.

ST : Une étape scientifiquement prouvée !

François Michel - Jessica  Orys - Sebastien Thibault

François Michel – Jessica Orys – Sebastien Thibault

Denise, parlez-nous de tes coups de cœur en matière de cinéma, littérature, musique…

TL : On a tous des goûts très différents, on débat sur d’autres jusqu’à pas d’heure, on s’envoie des mails dignes de négociations au Proche-Orient, pour être souvent d’accord, au final. Je ne citerai personne, mais on est deux à Denise à être des inconditionnels d’Indochine, par exemple. Et je pense qu’il va se dénoncer très vite, le deuxième. Après, si je parle juste pour moi, je pourrais mourir pour Pina Bausch. Xavier Dolan me fait pleurer, Félix Van Groeningen aussi, et je place Marguerite Duras et Bret Easton Ellis sur le même autel (je vais me faire assassiner, j’en ai conscience).

FM : Outre Nicola Sirkis, je suis un inconditionnel de Louis-Ferdinand Céline. En ce moment, je bouffe les livres de Nicolas Bouvier et les lettres d’Allen Ginsberg. Je méprise le tropisme houellebecquien de Seb. Et puis comme Fran, j’adore Leni Rieffenstal et le cinéma français sous l’Occupation.

ST : Laissez-moi vous dire un truc Tara Lennart et François Michel, Bret Easton Ellis et Nicola Sirkis sont les pires ordures du XXIème siècle avec Raymond Domenech et Laurent Ruquier.  Je préfère Anna Gavalda et Guillaume Musso.

La littérature justement, prend-elle beaucoup de place dans Denise Labouche Revue ?

TL : Pas mal, effectivement… C’est d’ailleurs ce qui m’a séduite dans le projet, que j’ai rejoint à l’automne 2012. Très orienté littérature, mais pas de manière exclusive. On pourrait dire qu’il y a une forte base littéraire qui ramifie vers les autres secteurs de création. Et puis on a tous une approche très gonzo dans notre écriture et dans notre appréhension du monde.

FM : La littérature est au centre, il s’agit avant tout d’une revue littéraire. Au départ, nous voulions en parler, maintenant l’idée est plutôt d’essayer d’en faire.

ST : C’est pour ça que nous vivons désormais tous ensemble, dans un vase clos, sans porte, sans fenêtre. Ça ne sert plus à rien de trouver le monde fascinant. C’est contre-productif.

Quels sont les auteurs avec qui il faudra compter dans les prochains mois ?

TL : Oh surprise, il y a des auteurs vivants vraiment intéressants et avec une plume qui tape… même en France! Clarisse Mérigeot, par exemple. Kévin Orr, aussi. Côté USA, on ne se lasse pas de Mark Safranko, un écrivain phare de la nouvelle mouvance d’auteurs révélés dans notre pays par 13e Note. Et il y a Danielewski qui vient de sortir un nouveau livre superbe… Et retenez le nom de Sébastien Thibault, pour revenir en France.

Tara Lennart

Tara Lennart

Notre petit doigt nous dit que Denise Labouche Revue s’apprête à devenir une maison d’édition… Pouvez-vous nous en parler ?

ST : Compte tenu de notre scepticisme face au support numérique, on s’est aperçu après quelque temps que publier chaque semaine sur Internet nous frustrait. Puis un jour François m’a envoyé un texto, « Putain et pourquoi on ne créerait pas notre maison d’édition, PUTAIN ? ». L’idée était folle, puérile, elle s’est immédiatement imposée. Mais on ne voulait pas faire les choses à moitié, alors on a développé un projet à trois têtes parce qu’on aime Cerbère, le chien méchant dans la mythologie grecque. En plus du webzine (ce mot est horrible, même Goebbels sonne mieux à l’oreille) qui nous offre la possibilité de publier deux à trois papelards par semaine, on s’est dit qu’une « vraie » revue tirée de notre activité en ligne ne serait pas de trop. Et comme nous écrivons depuis longtemps de notre côté, l’idée de publier nos propres travaux est devenue naturelle. C’est l’esprit même du collectif. C’est d’ailleurs à ce moment là que Jessica Orys est arrivée. C’est la reine de l’édition et notre mère fouettarde à tous.

FM : C’était pas un texto, c’était un mail. Sois précis, putain.

ST : Ah ouais, merde.

TL : webzine, c’est vraiment hideux. Je vote pour le mot « magazine en ligne », en novlangue dans le texte.

Mark Safranko avec la team Denise Labouche Editions

Mark Safranko avec la team Denise Labouche Editions

Pour quoi avoir décidé de se lancer dans ce  nouveau projet ?

ST : Faire un livre pour dire à tout le monde qu’on est écrivain ou éditeur, c’est triste et c’est gonflé. Beaucoup d’artistes ne fonctionnent qu’à la vanité, au désir mimétique. Je crois beaucoup aux beaux gestes. Comment celui-là sera reçu ? Qu’en penseront les gens ? J’en sais foutre rien. Tant qu’on passe un maximum de temps à faire ce que l’on sait faire  sans ruiner notre énergie et nos envies dans les contreparties que cette activité implique, je serai content. « Le bonheur, c’est savoir ce que l’on veut et le vouloir passionnément », je ne sais plus qui a dit ça, mais c’est pas mal. C’est pas trop niais. Dans une société polyvalente, ultra-connectée mais réductrice, c’est bien de savoir ce qu’on veut.

FM : C’est un accomplissement. Sans un support papier charnel, physique, j’ai l’impression que ce qu’on crée reste abstrait, inachevé. Je suis un peu obsédé par l’idée de laisser une trace. Il y a cette phrase magnifique, dans Famous Blue Raincoat, la chanson la plus triste et la plus belle de Leonard Cohen : « You’re living for nothing now, I hope you’re keeping some kind of record. » On écrit avant tout pour laisser une trace.

Quels sont vos autres projets pour le futur ?

TL : Être connus, gagner des sous et fumer des cigares !

ST : Avoir la tête de Fran Martinez en goodies ! T-shirts, briquets, tasses, taies d’oreillers… tout !

FM : Non, moi je suis sérieux, je veux écrire et publier des choses qui vont émouvoir les gens. Qui les rendront fous. Je veux que les gens me lisent et en éprouvent des sentiments extrêmes. Je serai heureux le jour où un mec viendra me dire qu’il a quitté sa copine après m’avoir lu.

ST : Oh le pervers narcissique !

Merci Denise ! 

Fran Martinez

Fran Martinez

A propos de l'auteur

Créatrice de Spanky Few