Le féminisme, comme beaucoup, on en entend de plus en plus parler, mais on ne sait pas vraiment ce que c’est. On est au courant des polémiques liées à la parité professionnelle, à la place de la femme dans les médias ou dans la politique, mais en gros, ça s’arrête là. Et puis un jour, on se dit que ce serait bien qu’on se penche sur le sujet. Et puis on nous suggère d’interroger Eloïse Bouton, qui accepte avec beaucoup de gentillesse de se prêter au jeu de l’interview pour Spanky Few. On ne pouvait pas espérer mieux qu’Eloïse pour nous parler de ce qu’est le féminisme en 2015, pour éclairer nos esprits profanes et surtout, pour nous offrir de nouvelles perspectives. Rencontre.

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Être féministe en 2015, qu’est ce que ça veut dire ? 

Agir en faveur de l’égalité des droits et de traitement entre les femmes et les hommes.

Et en opposition, à quoi ressemble le sexisme en 2015 ? 

De la même façon, je pense qu’il existe plusieurs formes de sexisme qui se manifestent à différents niveaux : le sexisme ordinaire, pernicieux et paternaliste que l’on perpétue comme une tradition sans s’en rendre compte et sans malveillance, le sexisme de la société qui discrimine les femmes depuis la nuit des temps et est inhérent à notre histoire, le sexisme complaisant ou condescendant, ou le sexisme pleinement assumé. Il ne faut pas oublier que le sexisme n’est pas l’apanage des hommes, et que les femmes peuvent y exceller aussi !

On a le sentiment que le féministe est de plus en plus visible dans mes médias depuis quelques années, comment expliquer ça ? 

Je pense que 2011 et 2012 ont été des années charnières. Le déclencheur a été l’affaire DSK, où toutes les féministes se sont retrouvées unies avec des revendications similaires. Idem avec le Mariage pour Tous. Face au discours décomplexé de ces opposants, la parole des militants LGBTQ et féministes a été davantage médiatisée. Enfin, les premières actions de Femen en France ont également attiré les caméras et contribué à inscrire le féminisme dans le quotidien médiatique.

Peut-on parler d’une démocratisation du féminisme qui pouvait faire un peu peur dans le passé ? 

Oui, certainement. J’ai l’impression que la jeune génération n’hésite pas à se revendiquer féministe. Mais paradoxalement, ce terme souffre toujours d’une connotation péjorative. Il suffit de poster le hasthag #féminisme sur les réseaux sociaux pour engendrer une cascade d’insultes et de haine. En soirée, je remarque souvent que les réactions ne sont pas les mêmes quand je dis « je suis féministe », ou « je me bats pour les droits des femmes ». La première phrase braque ou génère un débat, alors que la seconde fait sourire et me vaut des encouragements bienveillants. Beaucoup croient encore que les féministes sont des lesbiennes refoulées, des hystériques misandres ou des moches aigries aux cheveux gras qui veulent émasculer les hommes.

Pour certaines femmes, être féministe est plus qu’un engagement, c’est une identité, on pense notamment au Femen. Comment expliquer ça ? 

À mes yeux, considérer le féminisme comme une identité est une erreur, même si, en effet, à notre époque où la revendication identitaire est devenue centrale, certaines s’en emparent à tort. Le féminisme n’est pas une religion ou un dogme, c’est un prisme et une vision du monde, comme l’humanisme. Je pense qu’on peut trouver autant d’individus et d’identités que de manières d’appréhender LES féminismes.

Concernant les Femen justement, beaucoup leur reprochent leur violence et estime le mouvement sectaire… Qu’en pensez-vous, en tant qu’ex-Femen ?

Les Femen n’ont jamais fait preuve de violence et ne sont pas des terroristes ! Certes, elles sont provocantes, mais pacifistes, sans armes, et ne portent jamais de coups. J’ai participé à plusieurs actions où le bilan était souvent lourd pour nous : des dents cassées, des ecchymoses et plusieurs jours d’ITT. Femen n’est pas une secte, mais fonctionne de manière très hiérarchisée et autocratique. Je pense que la leader Inna Shevechenko est responsable de ne pas clarifier certaines choses et d’instaurer une communication opaque, tout comme les autres membres sont responsables de perpétuer ce fonctionnement sans jamais le remettre en cause.

Pour beaucoup, vous avez dénoncé le système inadapté des Femen. Pourquoi avoir eu envie d’y consacrer un livre ? Était-ce un moyen de mettre un point final à votre départ du mouvement ? 

J’étais partie du mouvement depuis six mois quand j’ai écrit Confession d’une ex-Femen. Je l’ai fait sans acrimonie pour tourner la page sereinement après une période de ma vie qui a eu un impact professionnel, social, judiciaire, personnel énorme. Écrire représentait un moyen quasi thérapeutique de prendre de la hauteur, d’analyser et d’expliciter certains points qui me tenaient à cœur.

Aujourd’hui, vous revendiquez être une féministe indépendante. Qu’est ce que ça veut dire ? Vos idées diffèrent-elles de celles des mouvements organisés ? 

Cela signifie juste que je milite sans étiquette. Je partage souvent les idées d’autres personnes ou associations, mais les porte en mon nom propre. Il est important pour moi de dialoguer avec toutes les féministes. Je participe ponctuellement à des actions avec différentes structures et sous diverses formes. Cela me donne une grande liberté et s’avère très enrichissant. Je collabore avec Prenons la Une, collectif de femmes journalistes qui œuvre pour une juste représentation des femmes dans les médias et l’égalité au sein des rédactions, Droits Humains pour Tou-te-s qui souhaite remplacer l’expression « droits de l’Homme », par « droits humains », La Barbe, H/F Ile-de-France avec lequel j’ai co-organisé les journées du Matrimoine…

Il se murmure que vous préparez un album contre la violence faite aux femmes… en quoi l’art et plus particulièrement la musique peuvent-ils sensibiliser le public ?

Je travaille en effet sur divers projets musicaux en lien avec les femmes, mais préfère ne pas en dire trop avant qu’ils ne soient confirmés ! J’ai récemment lancé un Tumblr intitulé Madame Rap, qui recense plus de 500 rappeuses du monde entier, afin de mettre en lumière les femmes dans le hip-hop qui sont encore invisibilisées. L’art et la musique sont universels et représentent un biais moins frontal pour véhiculer des idées ou sensibiliser. Je préfère mettre en avant les belles initiatives de femmes, et montrer des « modèles » plutôt que de dénoncer sans cesse les inégalités. Le fait d’être dans une démarche positive, et non dénonciatrice, fédère davantage.

Selon vous, quel est le futur du féminisme et à travers lui, celui de l’égalité des sexes ? 

Bonne question ! Je pense que le corps des femmes est redevenu le lieu de toutes les luttes. C’est par lui que viennent toutes les violences : harcèlement de rue, injonctions à la beauté et la minceur, IVG, PMA, viols, inégalité face à l’usage de la nudité comme mode d’action… En termes d’égalité salariale, j’ai l’impression que la situation évolue lentement même s’il reste encore beaucoup de travail.

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Pour ceux qui ne connaissent pas le parcours d’Eloïse…

Eloïse Bouton est la première Française à avoir rejoint Femen après avoir rencontré les fondatrices ukrainiennes du mouvement, Anna Hutsol, Alexandra Shevchenko, Oksana Shachko et Inna Shevchenko. Sa première action date de juillet 2012, à Londres, et visait à protester contre la décision de laisser deux athlètes saoudiennes concourir voilées aux Jeux Olympiques. À l’époque, elle est conquise par le «mode d’action génial, ultra-moderne et novateur» du mouvement qui invente le «sextrémisme» -dont elle reconnaît toujours ces qualités. Elle participe à la création de la branche française, aux premiers camps d’entraînement de ces «soldates» -terme qui lui déplaît- seins nus. Passée par Ni putes ni soumises, Osez le féminisme, ou encore La Barbe, elle a jugé cette nudité politique audacieuse et puissante. Et a payé les frais de ce militantisme qui dérange.

Outre les multiples menaces et autres déconvenues que cela lui a causées, elle a écopé de trois procès. Le 10 septembre 2014, elle a été relaxée avec dans l’affaire de dégradations à la cathédrale de Notre-Dame, remontant au 12 février 2013. Mais le parquet a fait appel et l’audience a eu lieu le 17 septembre 2015. En revanche, elle a été condamnée en décembre dernier, à un mois de prison avec sursis pour «exhibition sexuelle» à la Madeleine, et à payer 2000 euros de dommages-intérêts ainsi que 1500 euros au titre des frais de justice. Là, c’est elle qui a interjeté appel, mais la date du futur procès n’a pas encore été fixée. Enfin, le procès pour leur happening à la manifestation anti-mariage pour tous organisée par l’institut d’extrême-droite Civitas, le 18 novembre 2012, aura lieu le 15 décembre prochain. L’ex-Femen est confiante pour au moins deux de ces procédures –Notre-Dame et Civitas.

Ce ne sont d’ailleurs pas ces ennuis judiciaires qui l’ont fait prendre ses distances, peu à peu, jusqu’à quitter Femen définitivement, en février 2014. Ni le fait d’avoir été accusée à tort d’être «Alice», cette ancienne membre qui avait «balancé» sous couvert d’anonymat sur le groupe et ses dysfonctionnements. Mais plutôt cette organisation défaillante, justement, qui représente selon elle la limite de l’efficacité Femen. La militante ne leur jette toutefois pas la pierre, puisqu’elle l’avoue : «Je ne pense pas être capable d’éviter mieux que les autres les écueils de leadership ou de fonctionnement». C’est pourquoi l’indépendante a décidé de continuer à vivre son féminisme «en freelance». «Ça me permet de choisir les actions auxquelles je participe, de choisir les gens avec qui je travaille ponctuellement. (…) C’est beaucoup plus enrichissant, et en même temps je peux garder ma liberté de penser.»

Eloïse Bouton n’a pas gardé contact avec ses anciennes acolytes. Pour autant, elle affirme que la rupture s’est faite à l’amiable. «J’ai envoyé un mail à Inna après ce qui s’est passé à Copenhague (une fusillade a éclaté alors que la Femen avait la parole lors d’une conférence sur la liberté d’expression, Ndlr) et elle m’a répondu», nous a-t-elle confié en guise de preuve de cette entente «cordiale». Son expérience chez Femen lui a en revanche appris qu’elle n’était pas «faite pour ce type d’engagement monolithique». Et de conclure, lucide : «Je ne m’étais pas préparée au revers de la médaille qu’implique un militantisme si médiatique». Source : Paris Match 

Crédits Photo : P-Mod et Jacob Khrist

A propos de l'auteur

Créatrice de Spanky Few

Une réponse

  1. Jean GABARD

    Le féminisme aujourd’hui est malheureusement souvent devenu une idéologie qui confond l’égalité en droits avec le droit à l’égalité. Il ne peut y avoir égalité femmes/hommes que s’il existe une théorie du genre et il n’existe qu’un postulat impossible des Etudes de genre !